De l’importance des collaborations internationales

Une rencontre avec le Professeur Roee Ozeri, vice-président chargé du développement et de la communication à l’Institut Weizmann des sciences

 

Né en Israël, le professeur Roee Ozeri a obtenu une licence en physique à l’Université hébraïque de Jérusalem, ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en physique à l’Institut Weizmann des sciences. Il a effectué des recherches postdoctorales au National Institute of Standards and Technology à Boulder, dans le Colorado, dans le groupe de David Wineland, lauréat du prix Nobel de physique 2012, après quoi le professeur Ozeri a rejoint la faculté de l’Institut Weizmann.

 

Le laboratoire du professeur Ozeri travaille sur les atomes ultrafroids. L’une de ses directions de recherche pourrait faire progresser les domaines de l’informatique quantique – le développement de systèmes informatiques basés sur les principes de la mécanique quantique. Ces systèmes quantiques pourraient accomplir d’immenses tâches de traitement de l’information qui sont hors de portée des ordinateurs ordinaires, ainsi qu’une capacité de stockage de l’information beaucoup plus grande. Si de tels systèmes sont effectivement construits, ils révolutionneront le monde de l’informatique, ce qui nécessitera une approche entièrement nouvelle pour garantir la sécurité des informations, par exemple dans les transactions bancaires en ligne. Le professeur Ozeri se concentre sur l’un des plus grands défis du développement des ordinateurs quantiques : trouver des moyens d’atténuer l’effet du bruit sur les systèmes quantiques. L’information quantique est facilement perturbée par la moindre interférence environnementale, et les chercheurs n’ont pas encore trouvé comment éviter cela à grande échelle.

 

L’actualité nous montre une fois de plus l’importance des collaborations scientifiques internationales. Peut-on imaginer la science d’aujourd’hui sans ces collaborations ? 

Je pense qu’aujourd’hui, nous ne pouvons imaginer aucun projet dans la vie sans collaboration et sans solliciter un réseau mondial. Je pense que nous avons certainement appris grâce au covid que les distances géographiques ne sont pas un facteur limitant la capacité à collaborer. Je pense qu’à l’instar du virus qui n’est pas resté dans une seule province de Chine, mais qui a très vite provoqué une pandémie mondiale, en raison du caractère globale de l’humanité aujourd’hui, nous, dans la communauté scientifique, devrions nous considérer comme une communauté mondiale. Et je pense qu’aujourd’hui, la science et les institutions scientifiques qui ne reconnaissent pas cela et n’agissent pas en conséquence deviennent très rapidement sans intérêt. Je pense donc que la collaboration scientifique à l’échelle mondiale est de nos jours le moteur de l’excellence scientifique.

 

La collaboration Pasteur-Weizmann est en quelque sorte un pionnier en la matière. Nous pouvons constater que les contacts établis dans le cadre d’un projet commun continuent de profiter à d’autres études. Pouvez-vous nous parler de la récente collaboration « hors-piste » entre les deux instituts, le « super bouchon » contre le covid-19 ? 

C’est en effet un très bon exemple. Le professeur Gideon Schreiber a trouvé un moyen de doter les cellules, principalement de poumons, d’un bouclier qui empêche les « spike» de virus de les traverser. C’est un peu comme le verre blindé de la cellule qui empêche les balles de pénétrer. 

Je pense que la lutte contre le covid-19 est vraiment un magnifique terrain de jeu pour démontrer comment franchir les frontières et collaborer, à la fois géographiquement entre les pays et les institutions, mais aussi en termes de domaine d’expertise, de facultés. Gideon Schreiber a collaboré avec Yinon Rudich sur la manière d’administrer ce super bouchon par aérosol, par inhalation de spray. 

Mais vous savez, nous, à l’Institut Weizmann, nous ne traitons pas les virus vivants, nous ne sommes pas un établissement médical et nous n’avons pas les moyens de sécurité nécessaires qui nous permettent de travailler avec des virus vivants ; pour ce faire, nous devons collaborer avec des institutions de recherche qui ont ces moyens et je pense que c’est ce qui a initié la discussion avec Pasteur, et a conduit Pasteur à étudier ces molécules contre les virus vivants. Mais très rapidement, parce que Pasteur est un tel pilier dans le monde de l’immunologie et de la vaccination, la collaboration entre Weizmann et Pasteur a dépassé le stade de l’essai et s’est transformée en une véritable collaboration scientifique pour réfléchir ensemble à la manière d’améliorer la molécule et de traiter le covid de manière beaucoup plus efficace. Je pense que c’est un merveilleux exemple de la façon dont la collaboration commence « bottom-up », de bas en haut, et c’est un merveilleux exemple de la façon dont la collaboration peut réellement apporter des réponses à un besoin urgent, et essayer d’apporter des réponses à une crise sanitaire mondiale. 

 

Pasteur-Weizmann fêtera ses 50 ans en 2024. Quels sont vos espoirs pour l’avenir de cette collaboration ? 

Je pense que c’est une exercice difficile, de savoir ce que l’on veut dans le futur car nous ne savons pas comment sera le monde. Mais si aujourd’hui je devais faire un vœu pour les 50 prochaines années, ce serait que la collaboration Pasteur-Weizmann n’ait pas seulement un impact sur la science dans nos propres institutions et pas seulement un impact sur la science, la technologie et l’économie de nos deux pays, mais qu’elle aspire à plus que cela encore, et que cette collaboration ait un impact sur l’humanité dans son ensemble. C’est ce à quoi la science devrait toujours aspirer et je pense que c’est notre rôle en tant que scientifiques et en tant que managers.