Rencontre avec Javier Pizarro-Cerda

Coordinateur scientifique de Conseil Pasteur-Weizmann

Originaire de Costa-Rica, Javier Pizarro-Cerda a effectué ses études de biologie dans son pays natal suivis par un master et un doctorat en immunologie à l’université Aix-Marseille. En 1999 le brillant scientifique a trouvé sa place à Pasteur au sein l’équipe du Professeur Pascale Cossart, une célèbre chercheuse en microbiologie cellulaire. Il est aujourd’hui directeur des études doctorales, professeur des universités, et dirige l’unité de recherche Yersinia et du centre collaborateur OMS pour la peste à l’Institut Pasteur.

 

En tant que coordinateur scientifique du Conseil Pasteur-Weizmann à l’Institut Pasteur, vous êtes le pont entre les deux instituts. Comment les relations entre les chercheurs de deux rives ont tenu pendant la pandémie ?
Javier Pizzaro-Cerda : Pendant la pandémie, les chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences et de l’Institut Pasteur à Paris ont montré une remarquable ‘résilience’. En effet, les deux instituts ont su rapidement s’adapter à la pandémie ainsi qu’au confinement, et ont pu rapidement rebondir pour mettre en place de stratégies de travail adaptées au contexte. De plus, de nouvelles collaborations ont vu le jour pour lutter contre le virus SARS-CoV-2, grâce aux interactions historiques qui se sont liées depuis de nombreuses années entre les deux institutions, et également grâce au programme de coopération et financement Pasteur-Weizmann. En effet, au sein du Conseil Pasteur-Weizmann, avec mon collègue Sarel Fleishman (coordinateur scientifique du coté Institut Weizmann) nous avons pu lancer un appel à projets entre les deux institutions qui ont permis de financer un projet Covid-19. Nous avions également soutenu un projet dédié à l’étude de la malaria, et avec le support d’Eitan Bibi (IW) et Chiara Zurzolo (IP), président et vice-présidente respectivement du Conseil Pasteur Weizmann, nous avions continué à soutenir les autres projets de recherche qui étaient sous notre tutelle.

 

La pandémie a provoqué un projet de recherche collaboratif consacré aux conséquences du Covid-19, mené par Caroline Demeret et Yifat Merbl. En quoi consiste cette recherche ?
L’équipe de Caroline Demeret (IP) possède un savoir-faire dans l’analyse d’interactions moléculaires entre protéines. D’autre part, l’équipe de Yifat Merbl (IW) est experte dans la caractérisation d’un système intra-cellulaire qui permet la dégradation de protéines. Or, il se trouve que le virus SARS-CoV-2 profite de ce système de dégradation pour se multiplier dans nos cellules. Les deux équipes collaborent actuellement pour identifier les protéines virales spécifiques qui interagissent avec ce système de dégradation, et s’intéresser à caractériser de molécules issues de ce système qui pourraient être utilisées pour ‘booster’ notre réponse immunitaire contre le virus.

La collaboration scientifique entre les deux instituts a également contribué à un autre projet « hors-piste » entre Pasteur et Weizmann…
En effet, l’équipe de Gideon Schreiber a utilisé une stratégie originale pour s’attaquer à l’infection par le virus SARS-CoV-2, et au lieu de cibler directement le virus, le Prof. Schreiber a décidé d’investiguer le récepteur que se trouve sur nos propres cellules et qui fonctionne comme ‘porte d’entrée’ du virus. Grâce à une collaboration avec la plateforme de Chemo-génomique et Criblage Biologique de l’Institut Pasteur à Paris, l’équipe du Prof. Schreiber a étudié un très large panel de petites molécules synthétiques qui sont des variantes du récepteur cellulaire du SARS-CoV-2. Cette étude a permis d’identifier une molécule qui a une forte affinité pour le virus : cette molécule agirait donc comme un ‘bouchon de liège’ qui bloque l’entrée du virus à nos propres cellules. Cette molécule est un médicament potentiel et des études précliniques sont envisagées à court terme.

 

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les autres projets en cours ?
Actuellement, les projets de collaboration entre l’Institut Weizmann des Sciences et l’Institut Pasteur à Paris couvrent des domaines très divers, s’intéressant aux maladies induites par des virus, par des champignons, par des parasites, ou travaillant dans le domaine de la neuroscience. Pour donner quelques exemples, le projet de Ron Diskin (IW) et Mathieu Mateo (IP) met au point une approche immuno-thérapeutique pour le traitement et la prévention de la fièvre hémorragique due au virus Lujo; le projet de Roi Avraham (IW) et Marc Lecuit (IP) étudie la réponse des cellules intestinales à l’infection par l’agent bactérien de la listériose, Listeria monocytogenes; le projet entre Schraga Schwartz et Moran Shalev-Benami (IW) et Artur Scherf (IP) étudie comment l’agent de la malaria, le parasite Plasmodium falciparum, arrive à s’adapter durant son cycle de vie à un hôte humain ainsi qu’à un hôte insecte ; le projet entre Jakub Abramson (IW) et James di Santo (IP) étudie une population cellulaire spécifique du système immunitaire qui pourrait jouer un rôle protecteur critique durant les infections par le champignon Candida albicans; enfin, le projet entre Yaniv Ziv (IW) et Christoph Schmidt-Hieber (IP) étudie l’hypothèse que notre hyppocampe fonctionne comme une ‘carte de perception’ durant l’apprentissage et la consolidation de la mémoire.

 

Vous connaissez le conseil Pasteur-Weizmann depuis longtemps comme bénéficiaire d’une bourse dans les années 1990, que gardez-vous comme souvenir de cette période ?
Grâce à une collaboration entre le laboratoire de Pascale Cossart à Paris et le laboratoire de Benjamin (Benny) Geiger à l’Institut Weizmann, j’ai pu travailler dans le laboratoire du Prof. Geiger pendant trois mois, de septembre à novembre 1999, pour étudier l’interaction entre des cellules humaines et l’agent de la listériose, Listeria monocytogenes. Je garde un souvenir émerveillé du très beau campus de l’Institut Weizmann ! Coté science, j’étais particulièrement impressionné par la multidisciplinarité du laboratoire de Benny Geiger, où travaillent ensemble des biologistes cellulaires, de physiciens optiques qui s’intéressaient à améliorer la performance des microscopes, ainsi que d’astrophysiciens qui adaptaient des logiciels normalement utilisés pour analyser le firmament et les étoiles pour étudier plutôt les cellules humaines. Durant mon séjour, le Prof. Geiger a organisé un congrès de biologie cellulaire sur les rives de la Mer Morte, ce qui m’a permis de découvrir Massada, de découvrir Ein Gedi et son kibboutz… Ce voyage scientifique s’est transformé en une expérience culturelle à multiple facettes ! Et à la fin de notre interaction, les résultats de nos recherches ont été publiés dans une revue particulièrement prestigieuse, les Proceedings de l’Académie des Sciences des États-Unis.

 

Vos travaux portent entre-autres sur la peste bubonique, du point de vue de la santé publique, pouvons-nous nous inspirer des méthodes mises en place à l’époque pour combattre la peste dans notre bataille contre le COVID-19 ?
En effet, notre laboratoire travaille sur Yersinia pestis, l’agent de la peste bubonique, qui a décimé la moitié de la population européenne au Moyen Age. D’un point de vue historique, il est intéressant de noter que certaines mesures de santé publique qui ont été appliquées récemment durant l’épidémie de COVID-19, comme le confinement ou le passe-sanitaire, avaient déjà été appliqués (et avec succès !) au Moyen Age comme moyens pour lutter contre la peste. D’ailleurs, le terme ‘quarantaine’ avait été utilisé pour la première fois à Ragusa (aujourd’hui Dubrovnik) en 1377 pour indiquer la période durant laquelle des bateaux devaient attendre avant d’arriver au port, pour éviter que la peste se répande dans la ville (et cette quarantaine n’a pas toujours été respectée : il faut citer l’exemple du bateaux « Le Grand Saint Antoine » à Marseille en 1720, à l’origine d’un des épisodes de peste les plus importants en France).

La peste existe encore aujourd’hui, et tous les ans il y a de personnes qui meurent de la peste (en faible nombre), au Pérou, à Madagascar, en République Démocratique du Congo, mais également aux Etats Unis. La peste étant une maladie fulminante, un diagnostic rapide est nécessaire pour identifier la maladie à temps et pouvoir agir contre elle ; notre laboratoire travaille au développement de bandelettes de détection rapide de l’agent Yersinia pestis, ainsi qu’au développement d’un vaccin contre la peste.