Chiara ZURZOLO, Co-présidente du Conseil Pasteur Weizmann

Rencontre avec Chiara Zurzolo

Co-présidente du Conseil Pasteur-Weizmann

Scientifique d’excellence et chercheuse de renommée mondiale, la Professeur Chiara Zurzolo est co-présidente du Conseil scientifique de Pasteur Weizmann. Docteur en médicine et chirurgie, Chiara Zurzolo est également titulaire d’un doctorat intitulé « Biologie moléculaire et pathologie cellulaires » suivi par un PostDoc à l’Université de Cornell, à New York. À l’Institut Pasteur depuis 2003, elle est aujourd’hui la directrice de l’unité « Trafic Membranaire et Pathogenèse ». 

 

L’essentiel de ses recherches concerne la diffusion des protéines amyloïdes, implique dans la progression de maladie neurodégénérative, tels que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, entre cellules, et surtout leur mécanisme de diffusion dans le cerveau. Prévenir cette diffusion serait un moyen pour stopper des maladies neurodégénératives actuellement incurables.

 

Vous êtes Co-Présidente du Conseil scientifique de Pasteur-Weizmann depuis 2020, vos débuts chez Pasteur-Weizmann étaient donc sous l’égide de la COVID-19, comment a-t-elle affecté votre travail et les travaux des chercheurs ?

Chiara Zurzolo :  La pandémie a fortement affecté la manière dont les gens travaillent en général. Au sujet de la recherche, l’un des aspects les plus importants de notre travail au quotidien est la possibilité de communiquer et de discuter des résultats avec vos collègues ; cela peut se faire lors de réunions formelles, mais aussi pendant une pause-café ou en mangeant un sandwich… Dans mon laboratoire à l’Institut Pasteur, il y a une atmosphère très conviviale où tout le monde discute des résultats et partage hypothèses et données. Avec la distanciation sociale, ce n’était plus possible, donc en plus de la baisse inévitable du temps de recherche, de l’ordre de 30 à 40 % par rapport aux niveaux pré-pandémiques en raison des rotations dans le laboratoire, tous les étudiants et chercheurs postdoctoraux ont dû adopter une méthode de travail plus solitaire, qui, à mon avis, est moins efficace et aussi moins amusante.

 

Nous avons aussi appris à utiliser davantage les médias pour communiquer, ce qui peut s’avérer très efficace en termes d’emploi du temps, de sorte que le nombre de réunions sur zoom et d’autres plateformes a augmenté de façon spectaculaire. Je passais des journées entières dans ce type de réunion, parfois sans aucune pause. Bien que cela puisse sembler très efficace, je ne pense pas que ce soit bon ni pour la science ni pour la santé mentale, car vous perdez la plupart des facettes humaines qui ne peuvent être exprimées que lorsque vous vous rencontrez en personne. En raison des restrictions de voyage, toutes les conférences nationales et internationales ont été déplacées en ligne. Encore une fois, c’est une très bonne nouvelle pour la planète car nous avons réduit notre charge en CO2, mais dans certains cas, il est nécessaire de rencontrer en personne des collègues travaillant à l’autre bout du monde pour apprendre à se connaître et établir des relations humaines en plus des collaborations scientifiques. Je pense que cette pandémie va inévitablement façonner les modes de travail et d’enseignement pour les années à venir.  Le mieux sera peut-être d’atteindre un autre équilibre dans lequel nous pourrons utiliser au mieux nos ressources en termes de capital humain et technologique.  

 

Pourrions-nous dire que cette pandémie a également montré à quel point la recherche à l’échelle mondiale et les collaborations scientifiques internationales sont cruciales ?

Oui, absolument. L’adaptation scientifique mondiale à la pandémie de COVID-19 a été observée grâce à des niveaux sans précédent de collaboration internationale et à l’essor des plateformes de communication à distance.  Nous avons assisté en particulier à l’essor des collaborations interdisciplinaires où non seulement les disciplines évidentes impliquées dans la compréhension du comportement du virus et de son cycle de reproduction, comme la virologie, la biologie cellulaire et la biochimie, ont uni leurs forces, mais elles se sont étendues à la physique, aux mathématiques et à la bio-informatique : des disciplines qui ont permis d’analyser l’avalanche de données produites par les biologistes à l’aide de modèles et d’algorithmes. La modélisation a joué un rôle majeur dans l’étude de l’origine et du fonctionnement du coronavirus SRAS-CoV-2. Comme les virus ne peuvent répliquer leur matériel génétique qu’en détournant la machinerie cellulaire, le fait de cibler cette étape cruciale peut stopper l’infection. Des chercheurs de différentes régions du monde et de différentes disciplines ont uni leurs forces pour d’abord comprendre ce virus, puis pour découvrir et synthétiser des molécules capables de bloquer soit l’infection, soit la réplication du Covid-19. Je dois dire que cet effort est sans précédent et qu’il est absolument impressionnant. 

 

Avec un diplôme en médecine à 25 ans vous avez finalement choisi de vous tourner vers la recherche, qu’est-ce qui vous a décidé à prendre ce virage ?

J’ai été fascinée par la recherche dès mon plus jeune âge, en lisant la biographie de Marie Curie. J’ai décidé d’obtenir un diplôme en médecine et en chirurgie, avant de faire un doctorat en biologie moléculaire et cellulaire, car je voulais faire de la recherche dans le domaine humain. Je voulais donc comprendre d’abord comment le corps humain fonctionne et ce qui se passe quand une maladie apparaît, afin de pouvoir comprendre les applications possibles de la recherche. Je crois profondément que pour guérir les maladies, nous devons d’abord comprendre les mécanismes fondamentaux permettant la survie et la prolifération des cellules qui forment notre corps. Ce n’est qu’alors que nous pourrons comprendre ce qui ne va pas dans les maladies, comme le cancer et la neuro-dégénérescence, sur lesquelles je concentre mes recherches dans mon laboratoire. Il en va de même pour l’infection par le COVID-19. Si nous ne comprenons pas comment ce virus fonctionne, comment il pénètre dans les cellules et comment il se réplique, nous ne serons pas en mesure de trouver un remède.

 

Plusieurs projets de Pasteur-Weizmann sont aujourd’hui pilotés par des chercheuses, est-il de nos jours plus simple d’être femme et scientifique de haut niveau ? 

Oui, il est certainement plus facile aujourd’hui d’atteindre des niveaux plus élevés en tant que femme dans le domaine de la science, par rapport au début de ma carrière. Cependant, même si les femmes scientifiques mènent des recherches révolutionnaires dans le monde entier, leur travail est rarement reconnu à sa juste valeur. Seuls 3 % des prix Nobel scientifiques ont été attribués à des femmes et 11 % seulement des postes de recherche de haut niveau sont occupés par des femmes en Europe, ce qui signifie qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une véritable égalité des sexes dans le domaine de la recherche scientifique. Pasteur-Weizmann est un excellent exemple de réussite des femmes dans les sciences. Nous nous efforçons de faire en sorte que les femmes bénéficient d’un soutien adéquat pour concilier les responsabilités de la recherche et de la maternité, et que les scientifiques soient évalués uniquement sur la base de l’impact potentiel de leurs découvertes, sans discrimination . 

 

Quels sont vos espoirs pour Pasteur-Weizmann pour les années à venir ? 

Pasteur-Weizmann est un exemple vivant de collaboration scientifique internationale au plus haut niveau, non affectée par les conflits politiques, culturels ou financiers entre États. La réputation internationale des deux instituts et le niveau exceptionnel des chercheurs associés au Conseil Pasteur-Weizmann ont contribué au succès de cette collaboration. J’espère dans les années à venir, sous ma direction, renforcer ces liens et revitaliser la collaboration Pasteur-Weizmann en l’élargissant à un plus grand nombre de chercheurs, en favorisant de nouveaux contacts tout en conservant son excellence. Comme je l’ai déjà dit, nous devons soutenir la science fondamentale et encourager la recherche interdisciplinaire afin de comprendre les maladies et de les guérir. Les recherches menées par Pasteur-Weizmann s’inscrivent dans ces objectifs, je souhaite donc qu’elles continuent à se développer pour le bien de l’humanité.