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La recherche collaborative d’Yifat Merbl de l’Institut Weizmann et Professeur Caroline Demeret de l’Institut Pasteur
En septembre 2020, entre vagues épidémiques et confinements à répétition la Professeure Yifat Merbl, une biologiste spécialisée dans l’étude de la régulation des protéines dans le cancer et de l’immunité cellulaire à l’Institut Weizmann des Sciences a pris contact avec la Professeure Caroline Dameret, une virologiste à l’Institut Pasteur. « En pleine pandémie de covid, nous recherchions quelqu’un qui puisse nous envoyer des échantillons de cellules infectées par le Covid-19, de préférence en Europe » raconte la Professeur Merbl, « C’est ainsi que j’ai découvert le laboratoire de Caroline. Le fait qu’elle travaillait sur des sujets liés à l’ubiquitination des protéines, un type de modification post-traductionnelle des protéines, qui est impliqué dans la réponse cellulaire au stress et à l’inflammation, était une raison de plus pour lui proposer de travailler ensemble. »
Grâce à cette prise de contact, un nouveau projet de recherche collaborative Pasteur-Weizmann est né, son but : identifier de nouveaux mécanismes par lesquels le virus SRAS-CoV-2 contrôle l’environnement de la cellule selon ses besoins, et dans un second temps, arrêter la multiplication du virus.
Professeure Demeret : « la Professeure Yifat Merbl connaissait le travail de mon équipe à travers nos publications, et m’a proposé d’élaborer un projet commun, appliquer au virus SARS-CoV-2, étant donné la complémentarité des approches réalisée par nos équipes. Nous avons eu plusieurs échanges, où chacune de nous avait exposé quels outils d’étude nous avions en main, et comment nous pouvions appliquer chacune de nos approches expérimentales à l’étude de l’infection par les virus SARS-CoV-2. Nous avnos ensuite réfléchi ensemble à définir un projet, réalisable en deux années, et qui répondrait à des questions encore non élucidées sur le cycle de vie du virus SARS-CoV-2. Etant déjà impliquée dans des études relatives au SARS-CoV-2, j’ai pu estimer ce qu’il était à la fois pertinent d’étudier et réalisable dans le temps imparti, aidée en cela par Yifat qui m’a expliqué comment la technologie très spécifique appliquée dans son équipe pouvait être appliquée aux cellules infectées par le virus, ainsi que les informations qui en ressortiraient. Nous avons enfin pu proposer comment, à partir des résultats générés par nos deux équipes, le programme de recherche sera poursuivi pour explorer plus loin le cycle de vie du virus. »
En quoi vous êtes-vous complémentaires ? Quid de vos méthodes du travail ?
Professeure Merbl : « Nos systèmes sont complémentaires dans la mesure où nous nous concentrons principalement sur l’analyse biochimique, à partir de cellules in vitro et de cellules dérivées de patients. Caroline dispose de merveilleux systèmes qui ont été manipulés génétiquement pour examiner différents composants du système ubiquitine-protéasome et cribler leurs interactions avec les agents pathogènes. »
Pr. Demeret : « L’équipe du professeur Merbl est spécialisée dans la détection dans les cellules des protéines qui sont dégradées à un temps donné par un système de dégradation spécifique, appelé système ubiquitine-protéasome. Il faut préciser que ce système de dégradation dans la cellule est très complexe, extrêmement régulé, et est un processus majeur de la dégradation de protéines dans la cellule, ce qui est essentiel au déroulement normal de la plupart des fonctions de la cellule (division cellulaire, réponse à des stress, tels qu’une infection, réponse anti-virale…). A ce titre, le système ubiquitine-protéasome est ciblé par les virus, dont le cycle de vie repose sur l’exploitation de la machinerie cellulaire pour leur propre réplication (on parle de parasites intracellulaires obligatoires). Ce ciblage, visant à promouvoir le cycle viral ainsi qu’à contrer la réponse cellulaire anti-virale, se fait notamment par l’intermédiaire d’interactions entre protéines virales et protéines du système ubiquitine protéasome.
Mon équipe est spécialisée dans l’identification à large débit des interactions entre protéines virales et protéines de la cellule hôte. Le but est d’identifier des interactions protéine-protéine virus-hôte essentielles pour l’infection virale, afin de mieux comprendre le cycle de vie des virus et de les empêcher, par l’utilisation de composés chimiques. Nous avons ainsi exploré de nombreuses interactions entre les protéines des virus influenza A et les protéines de la cellule humaine, une de nos spécialités étant les interactions avec le système ubiquitine protéasome humain. En effet, nous avons acquis au laboratoire de nombreux outils nous permettant d’étudier l’interaction d’un virus à travers ses protéines avec les protéines constituant le système ubiquitine protéasome de la cellule humaine.
Le travail réalisé par mon équipe pourra identifier quelles sont les protéines virales qui, en interagissant avec les protéines du système ubiquitine protéasome, sont susceptibles d’induire ces dégradations spécifiques. L’inverse peut être également vrai, à savoir des protéines qui sont dégradées dans les cellules non infectées et ne le sont plus au cours de l’infection.
Ainsi, la complémentarité des approches de l’équipe d’Yifat merbl et la mienne se situe dans le fait d’étudier quelles sont les protéines dégradées par le système ubiquitine protéasome uniquement au cours de l’infection virale (donc quelles sont les protéines « envoyées » à la dégradation au cours de l’infection), et quels sont les facteurs viraux responsables de ces dégradations « dérégulées » dans les cellules infectées, comparées aux cellules non infectées, à travers leurs interactions avec des protéines du système ubiquitine protéasome cellulaire. »
La pandémie vous a-t-elle posé des difficultés particulières dans ce projet ?
Pr. Merbl : « Absolument ! Comme nous cherchons à analyser l’effet de l’infection par le Covid sur les cellules, dans des conditions semi-physiologiques, nous devons investir beaucoup d’étalonnage pour obtenir des conditions qui nous permettraient d’expédier des échantillons entre l’Europe et Israël. C’est un véritable défi. En particulier, nous avons dû faire face à de nombreuses restrictions et quarantaines concernant le personnel autorisé dans le laboratoire. »
Pr. Demeret : « Le laboratoire auquel j’appartiens est associé au centre national de référence pour les virus respiratoires, dont une des missions est d’identifier les virus respiratoires circulant en France, de le diagnostiquer dans les prélèvements envoyés par des laboratoires de toute la France, afin d’assurer une veille épidémiologique. C’est d’ailleurs le CNR de l’Institut Pasteur qui a séquencé le premier virus SARS-CoV-2 prélevé chez un patient en France et confirmé ainsi l’arrivée de l’épidémie en France. Le projet que nous avons proposé avec Yifat Merbl repose sur l’infection de cellules par le virus SARS-CoV-2, que nous réalisons dans un laboratoire P3 (laboratoire confiné). Ces extraits sont envoyés à l’Institut Weizmann pour que l’équipe d’Yifat Merbl identifie les protéines cellulaires dégradée par le système UPS (ces extraits contiennent un virus inactivé par un traitement chimique).
L’évolution de la pandémie en France, avec notamment les vagues successives de pics épidémiques, a provoqué une surcharge importante du travail du CNR en P3, ce qui est prioritaire. Cela a engendré une disponibilité très réduite de l’accès au P3 pour mon équipe de recherche, et ralenti la mise au point du protocole que nous devions appliquer pour envoyer les extraits des cellules infectées à l’équipe d’Yifat Merbl. »
À quel résultat espérez-vous arriver au terme de vos travaux collaboratifs ?
Pr. Merbl : « Nous visons deux découvertes indépendantes : nous aimerions identifier de nouveaux mécanismes par lesquels le virus détourne et utilise la machinerie cellulaire, du système ubiquitine protéasome, pour contrôler l’environnement cellulaire selon ses besoins.
Et en plus, nous aimerions savoir comment le système ubiquitine est impliqué dans la détermination de l’issue d’un patient infecté. En criblant des échantillons de sérum de patients hospitalisés, nous avons réussi à identifier une signature systémique (figure ci-jointe) qui distingue les cas non sévères des cas sévères et des patients décédés. Nous pensons que cette signature, constituée de protéines ciblées par l’ubiquitine, joue un rôle protecteur en aidant le système immunitaire des patients à combattre correctement le virus sans déclencher une tempête de cytokines incontrôlée. Nous espérons déchiffrer les mécanismes sous-jacents qui sont impliqués et identifier des biomarqueurs qui pourraient être pertinents dans d’autres conditions que le covid (par exemple, la septicémie). »
Pr. Demeret : « Ce qui est important à comprendre est qu’au-delà de la compréhension des mécanismes nos études sont susceptibles d’identifier des molécules à pouvoir anti-viral, c’est-à-dire avoir un potentiel thérapeutique. »